Olivier Delorme La Quatrième Révélation |
L'Eglise |
"Vous savez bien que l’Église, celle d’Occident comme celle d’Orient, ne repose nullement, comme on l’a fait dire à Notre Seigneur, sur cette pierre qu’était Pierre - lequel n’était qu’un rustaud fort mal dégrossi et sans la moindre malice. Ni d’ailleurs sur l’un quelconque des apôtres dont aucun n’était de taille à faire du christianisme autre chose qu’une secte plus ou moins millénariste, condamnée plus ou moins vite à s’éteindre, comme les nombreuses dissidences sectaires engendrées par le judaïsme durant les deux siècles précédents. Que cherchez-vous à me dire, Votre Béatitude ? Que c’est Paul le seul véritable « génie du christianisme ». C’est lui qui a compris que les propos singulièrement contradictoires du Christ, ses bons sentiments mâtinés d’illuminisme, ses soudaines crises de mélancolie suivies de phases d’euphorie ou de violentes et inexplicables colères ne permettaient en aucune manière d’élaborer une dogmatique cohérente susceptible de structurer une nouvelle religion, qu’ils ne possédaient en eux-mêmes aucune force de conviction. En vérité je vous le dis, Julien, le portrait de Jésus que donnent les Évangiles est plus intéressant pour un psychiatre d’aujourd’hui que pour un Hébreu, un Romain ou un Grec du 1er siècle. Raison pour laquelle la prédication du Christ a été, somme toute, un échec cuisant, et tout autant, après sa mort, celle de ses apôtres dans le monde juif. Mais où cela nous mène-t-il en ce qui concerne ces... Bites ? Au fait, mon cher Julien, que si Paul mérite ce qualificatif de génie, c’est pour avoir compris deux choses fondamentales. En premier lieu, qu’une société, comme un poisson, le symbole favori des chrétiens de cette époque, commence toujours de pourrir par la tête et que, pour devenir autre chose qu’une secte, il faut donc conquérir les élites, le pouvoir. Le christianisme, contrairement à ce qu’il ne cesse de répéter, n’est pas une religion des humbles, jamais, nulle part et pas plus dans les temps primitifs que par la suite. Les humbles se contentent fort bien du merveilleux, de la médiation des idoles, du culte des sources ou des forces de la nature. Partout, dans l’Empire romain, c’est le peuple d’abord qui est violemment antichrétien, parce que les chrétiens veulent le priver de ses dieux, de ses points de repère dans l’univers. Il faudra que l’Église lui concède le culte de la Vierge et des saints pour christianiser la surface, pour se rendre acceptable aux humbles. Mais quand Paul prêche l’obéissance aveugle aux esclaves, la soumission sans restriction mentale aux pauvres et la docilité silencieuse aux femmes, lorsqu’il leur promet le bonheur éternel dans l’autre monde, c’est pour mettre de son côté, dans ce monde-ci, les maîtres, les riches et les pères de famille - les puissants. Dès qu’il débarque à Chypre, son premier soin n’est pas d’évangéliser le peuple mais de convertir le gouverneur : la logique de Paul est celle qui aboutit à la conversion de Constantin. Quant à son deuxième coup de génie, c’est d’avoir compris que, dans les élites, seule l’angoisse pouvait vaincre l’intelligence, que, pour s’assurer l’empire des âmes, il fallait combattre l’aspiration philosophique à la sérénité par l’angoisse du salut. Mais pour qu’il y ait angoisse du salut, il faut qu’il y ait sentiment du péché, culpabilité, haine de soi... Vous prêchez un converti, si j’ose dire, Votre Béatitude, mais je dois avouer que vous me stupéfiez. Comment peut-on être chrétien et...?" |